vendredi 5 juin 2009

“Numériser les œuvres du domaine public, et après ? Diffusion, réutilisation, exploitation : des objectifs contradictoires ? ” PARTIE 1

Cette journée d’étude, organisée par l’Interassociation Archives Bibliothèques Documentation, et plus spécialement par Michèle Battisti et Lionel Maurel – ci-devant DCB 15 et auteur de Bibliothèques numériques : le défi du droit d’auteur (Presses de l’Enssib, 2008) , s’est déroulée le 4 juin 2009 au CNAM. Voici quelques notes glanées lors de cette journée, en attendant dans les mois qui suivent une retranscription intégrale sur le site de l’IABD.
Ces notes n'engagent que leur auteur et en aucun cas les intervenants.

Dans une intervention inaugurale, Stéphanie Choisy, Docteur en droit, remarque la démarche de réappropriation des œuvres du domaine public par les institutions culturelles, et se demande sur quel fondement juridique une redevance d’usage public peut-elle être exigée en fonction de l’utilisation. Dans le cas des photographies reproduisant des œuvres tombées dans le domaine public, des décisions juridiques contradictoires ont été rendues. L’autorisation demandée par la BnF pour l’utilisation, même à titre de citation, d’une donnée de Gallica, est une mention légitime selon la cour de justice du Conseil Européen, et peut se comprendre par les investissements importants de cette banque de données.
L’interlocutrice propose de qualier les œuvres du domaine public de « chose commune », car il y a une impossibilité de leur appliquer le droit d’auteur. Encore faut-il se demander sous quel régime pourrait se tenir cette « chose commune ».

Jean-Gabriel Sorbora, Professeur de droit public à l’université du Maine, intervient à propos des œuvres du domaine public hors « œuvres tombés dans le domaine public », et qui sont des biens affectés à un usage public (bâtiments, voies…), frappés d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité, par opposition au domaine privé non affecté. Mais il est difcile d’appliquer une affectation à un livre.
Il convient de différencier le droit privé du domaine public – un appartement de fonction, par exemple – du droit public du domaine public.
Le domaine public, qui concerne toute œuvre présentant un intérêt en matière d’art, de science ou de technique, s’est vu récemment augmenté des archives et des documents anciens, rares et précieux. Encore faut-il savoir à partir de quand un ouvrage est – ou sera – rare. De plus, la numérisation – procédé de reproduction auquel est appliqué le droit intellectuel – d’une telle œuvre est-elle inaliénable et imprescriptible, même si l’objet numérisé ne change pas de statut ?
Une numérisation fait référence à trois entités inséparables :
• Le livre, comme bien corporel,
• L’œuvre immatérielle, relevant de l’esprit, régie par la propriété intellectuelle,
• Les données numérisées, y compris la base de données support de l’œuvre numérique.
Une bibliothèque n’est propriétaire que du bien corporel et des données numériques. Mais une base de données relève-t-elle du droit public ou du droit privé du domaine public ? À qui appartient-elle lorsqu’elle est créée par un prestataire externe ?
Si le statut d’une bibliothèque numérique relève du droit public, alors son usage est contraint et est soumis à redevances. Mais il reste beaucoup de questions juridiques sur le caractère immatériel de la numérisation. Néanmoins, une jurisprudence fait qu’à partir du moment où une base de données est diffusée, l’absence de mentions sur les restrictions de cette diffusion n’empêche pas sa réutilisation intégrale.

Après ces deux interventions juridiques, Bruno Ory-Lavollée, Conseiller référendaire à la Cour des Comptes et auteur du rapport en 2002 sur la “Diffusion numérique du patrimoine, dimension de la politique culturelle”, entame l’aspect politique avec la question de la diffusion et de la réutilisation des informations publiques.
Une numérisation équivaut à une possibilité de copies et de circulation de ces copies. Un simple lien vers un site distant constitue une intervention d’un tiers sur un contenu. Une réutilisation de données peut se faire
• par des particuliers pour un usage privé, une communication, une étude…,
• par des éditeurs culturels,
• par des acteurs non-culturels marchands,
• par des acteurs non-culturels non-marchands.
Un droit de réutilisation existe, mais selon conditions ; il s’agit de trouver un équilibre entre le faire, le savoir-faire et le laisser-faire.
Bruno Ory-Lavollée propose quelques orientations :
• Maximiser les licences afin d’éviter l’amateurisme au maximum (il vaut mieux un historien de l’art pour parler d’un tableau) et de consolider la place des institutions,
• Pratiquer des tarifs modiques,
• Ne pas bloquer les droits,
• Suivre et réguler…
… tout ceci entrant dans les missions du Ministère de la Culture, qui sont de diffuser et rendre accessible la culture française.

Danièle Bourlange nous présente l’Agence du patrimoine immatériel de l’État (APIE), dont elle est la Directrice générale adjointe. Créée en 2007 sur le diagnostic d’un manque de conscience de la richesse du patrimoine numérisé en France, l’APIE a pour missions de prémunir l’État contre l’utilisation abusive de ce patrimoine, de recenser des actifs immatériels, d’élaborer de nouveaux cadres de référence.
L’Ordonnance du 6 juin 2005, transposition d’une directive européenne de 2003, pose le droit de réutiliser les informations publiques, et la possibilité d’une redevance. Dans ce cadre, il convient de favoriser la réutilisation des données publiques en indiquant les cadres de réutilisation et en étant attentif aux droits de la propriété intellectuelle.

Puis Danièle Bourcier, Directrice de recherche au Centre d’études et de recherches de sciences administratives de Paris 2, présente les licences Creative Commons, créées en 2001 à l’université de Stanford, appliquées en France à partir de 2003. Ce sont des licences juridiques qui permettent aux auteurs, à partir du Web, de choisir les conditions d’utilisation de leurs œuvres, et aux utilisateurs de ne pas avoir à négocier systématiquement une autorisation. Danièle Bourcier insiste sur le fait qu’elles ne sont pas une alternative, mais un complément au Droit d’auteur, l’auteur étant au centre du dispositif. Elle remarque le manque d’information sur les droits des œuvres disponibles sur Internet et de leur réutilisation.
Les licences Creative Commons proposent six conditions optionnelles à partir de combinaisons de quatre éléments :
• Paternité (élément obligatoire)
• Pas de modifications
• Pas d’utilisations commerciales
• Partage des conditions initiales à l’identique
Elles prennent trois formes :
• Informations pour les juristes
• Informations pour les utilisateurs
• Métadonnées
Ces licences ont été traduites en français, mais pas encore intégrées dans le droit. La question de leur application en droit français n’est donc pas encore réglée.
Il y a encore peu de bases de ressources disponibles sous Creative Commons. Citons en tout de même deux : les archives de la BBC et Arteradio.
(S’ensuivent des débats sur l’opposition professionnel/amateur, sur Wikipédia, sur la possibilité ou l’impossibilité pour un auteur de pouvoir sortir du système Creative Commons… Mais nous touchons au pic de la journée, la moitié du chemin a été fait, il est temps de manger)
À suivre.

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2 commentaires:

  1. Merci pour ce compte-rendu... J'aurais bien aimé assister à cette journée d'étude !

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  2. Très intéressant. On s'interroge beaucoup sur les droits d'auteur mais est-ce qu'on connaît les chiffres de consultation de ces oeuvres numérisées ? Bref, est-ce qu'il ne faudrait pas favoriser leur consultation plutôt que de réfléchir aux moyens de brider leur utilisation ?

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