lundi 29 juin 2009

Du e-book au “Hitchbook”

Mardi 23 juin, l'ENSSIB s'est invitée à l'Institut Lumière pour une première collaboration, à l'initiative de M. Yves Desrichard, conservateur, professeur à l'ENSSIB et néanmoins féru de cinéma.
Libérée des fameux “Exposés/diaporamas/sites Internet”, j'ai pu m'y rendre le coeur léger.
Parmi les spectateurs, quelques élèves et personnels de l'ENSSIB disséminés dans la salle, mais également d'autres bibliothécaires, sont venus écouter, faisant preuve, comme l'a souligné M. Desrichard, d'un certain masochisme, une intervention sur la destruction des livres et des bibliothèques, précédant la projection du film de Truffaut “Fahrenheit 451”, adaptation du livre de Bradbury (cycle Truffaut à l'Institut Lumière).
De mémoire et sans notes, voici un petit résumé.
Je passe l'introduction de présentation de l'ENSSIB par Yves Desrichard...

La première intervenante, Mme Claire Bruyère (Prof à Paris 7), nous rappelle que de tout temps on a détruit des livres et des bibliothèques (la bibliothèque d'Alexandrie ne fut pas la première). Elle cite les époques les plus destructrices (telles que l'Inquisition ou la Révolution) et ajoute qu'on en brûle encore à notre époque (cf “événements” de 2007 en France). Une intervention dans la salle évoque l'incendie en 1999 de la bibliothèque centrale Lyon 2-Lyon 3, dont l'origine est encore obscure.

Mme Bruyère tente ensuite de lister certaines raisons poussant à ces destructions. Elle évoque la peur de l'influence du contenu des livres (dans les états totalitaires notamment). Elle pousse la réflexion ainsi : brûler des livres, c'est brûler des hommes (dans le sens aussi de “condamner à mort”) : exemple de Giordano Bruno ou des “sorcières” (par ailleurs toujours des femmes...), des fatwas contre Salman Rushdie ou Taslima Nasreen. A notre époque, mettre le feu aux bibliothèques, ce peut être s'en prendre à ce qui représente l'institution. Enfin, il s'agit aussi d'une fascination, pour certains, de voir brûler, se consumer...

La destruction peut aussi prendre la forme du vol pour appropriation (cf spoliation des bibliothèques françaises durant la 2e guerre mondiale, sujet du dernier livre de Martine Poulain “Livres pillés : lectures surveillées”).

Mme Bruyère nous fait remarquer que lorsque l'on détruit des livres, c'est souvent par le feu . Il existe d'ailleurs le terme “brûlement”, qui semble s'appliquer essentiellement aux livres. D'où l'Enfer dans les bibliothèques ?

Apparition fugitive, sur le grand écran, de la page d'accueil de l'Enssib (et pour ma part, courte envie de cliquer sur "messagerie", ben oui, l'habitude...), puis M. Yves Desrichard intervient rapidement sur le thème “Truffaut, éditeur de livres”. Il entend par là le rapport de Truffaut aux livres. Nous, Fibe S, qui, grâce à l'un des groupes du fameux “exposé/diaporama/site Internet”, connaissons maintenant sous toutes les facettes les e-books, apprenons alors l'existence du “Hitchbook”, livre d'entretiens de Truffaut avec Hitchcock...

Quelques lectures conseillées par les intervenants :

Elias Canetti Auto-da-fé
Voltaire De l'horrible danger de la lecture
Enrique Vila-Matas La lecture assassine
Lucien X. Polastron Livres en feu : histoire de la destruction sans fin des bibliothèques
Fernando Baez Histoire universelle de la destruction des livres : des tablettes sumériennes à la guerre d'Irak
Martine Poulain Livres pillés, lectures surveillées : les bibliothèques françaises sous l'occupation
François Truffaut, Helen Scott Hitchcock Truffaut

vendredi 5 juin 2009

“Numériser les œuvres du domaine public, et après ? Diffusion, réutilisation, exploitation : des objectifs contradictoires ? ” PARTIE 2

Lionel Maurel, Conservateur à la BnF, entame la seconde partie de cette journée d’étude en dressant une étude comparative des mentions légales de 122 bibliothèques numériques. En préambule, il remarque qu’il n’existe pas de portail recensant les bibliothèques numériques.
34 % de ces 122 bibliothèques, soit un bon tiers, n’affichent pas de mention légale. Celles qui le font invoquent en priorité le droit d’auteur – droit que la numérisation ne donne pas.
Il y a une grande disparité des usages. Un grand nombre de mentions ferme tous les droits, 88 % d'entre elles interdisent un usage en ligne, même privé. Elles s’avèrent plus restrictives que les mentions de Google Book Search. Très peu traduisent la mention légale en métadonnées.
On peut retrouver la liste des 122 bibliothèques taggées et leurs liens ici : http://delicious.com/domaine

Une table ronde permet ensuite à cinq intervenants de présenter leur établissement culturel et le choix pris par chacun d’entre eux concernant l’exploitation de domaine public numérisé :
Sophie Sepetjan, Chef du service juridique, pour la BnF,
Jean-François Vincent, Conservateur au Service d’histoire de la médecine, pour la Bibliothèque interuniversitaire de médecine,
Stéphane Ipert pour le Centre de conservation du livre d’Arles, dont il est le Directeur,
Béatrice Abbo, Chef du service du récolement et de l’informatisation des collections au Château de Versailles,
Élisabeth Gautier-Desvaux pour les Archives départementales des Yvelines, dont elle est la Directrice.
Nous ne détaillons pas ici les 5 initiatives, toutes différentes et originales, mais rapportons quelques notes prises à propos de Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF :
Le fondement juridique de la réutilisation des données de Gallica est le droit des bases de données – le contenu de la base attestant un certain investissement financier, humain et matériel. Gallica est librement réutilisable ; la gratuité est requise pour un usage de recherche et de pédagogie, l’usage commercial est payant. Cette redevance [1] doit favoriser la réutilisation commerciale et en même temps générer un retour sur investissement. La source doit dans tous les cas être mentionnée et les conditions de réutilisation respectées. Les images en haute définition sont marquées.

Une seconde table ronde réunit Philippe Colombet, Responsable des partenariats du monde francophone de Google France, et Pierre Baudouin, Chargé des relations extérieures à Wikipédia.

Ce dernier indique que l’encyclopédie en ligne contient de 15 à 25 % de biographies, selon les langues. Une grande partie des articles en langue allemande contient des liens pointant vers la Bibliothèque nationale allemande, et 250 000 articles d’entre eux contiennent des métadonnées, contre 38 000 en langue anglaise. On ne peut que constater le retard de la France en ce domaine.
Quelques projets sont présentés :
Wikimedia Commons : médiathèque numérique libre,
Wikipedia Loves Art : Photothèque amateur d’œuvres des musées,
Bundesarchiv : archives fédérales de la République Fédérale d’Allemagne,
Deutsche Fotothek,
Wikisource : bibliothèque numérique libre mise à disposition gratuitement et sans publicité. Textes du domaine public placés sous licence GFDL (licence de documentation libre de la Free Software Foundation)

Philippe Colombet intervient ensuite à propos de Google Recherche de livres – le pendant francophone de Google Book Search [2] – créé par le constat que les internautes ne cherchent pas sur Internet uniquement des sites, mais aussi des vidéos, des sons, des livres… Les livres apparaissent au sein des résultats de recherche depuis 2007. Google Recherche de livres totalise 29 bibliothèques partenaires, dont 7 en Europe. 3 d’entre elles sont francophones – une en Belgique, une en Suisse et une en France – au sein d’accords stipulant que le choix des ouvrages à numériser doit être fait par les établissements. La numérisation et l’indexation sont aux frais de la firme. Une copie de ces données est livrée à la bibliothèque.
La Bibliothèque municipale de Lyon a passé un tel contrat. Google est en train de construire des locaux ad hoc en banlieue lyonnaise pour la numérisation de ses fonds. Le programme devrait s’étaler sur 7 ou 8 ans.
Une date butoir a été fixée afin d’éviter de numériser des ouvrages sous droits d’auteur ; les différences entre l’Europe et le continent américain sur cette question font que certains ouvrages numérisés sont accessibles aux États-Unis mais ne le sont pas en France.

Pour finir, Yves Alix, Rédacteur en chef du Bulletin des Bibliothèques de France et bientôt directeur du département de l'Information bibliographique et numérique à la BnF, livre une synthèse de la journée. Nous n’en livrons ici que quelques idées saillantes, en vrac :
Une « schizophrénie juridique » entoure le rapport des institutions envers le domaine public, oscillant entre un désir d’appropriation de celui-ci et la crainte de son érosion.
Étrangement, même si le sujet du jour était le domaine public, le droit d’auteur a plané comme un spectre sur tous les débats.
La révolution numérique est une révolution de la copie.
Une exploitation commerciale d’un patrimoine est possible, mais un service public n’est pas armé pour le faire. Il convient donc de réfléchir, en vue d’une exploitation commerciale, à des partenariats.
Il y a un besoin de clarifier la mission primordiale, la juridiction et les objectifs des établissements publics patrimoniaux, entre la préservation, la diffusion et la substitution…
Les comportements des usagers changent, le service public n’est pas en mesure de contrecarrer ces changements. Il faut favoriser l’ouverture et éviter l’exclusivité et l’appropriation, qui ne fonctionnent pas sur le Web, Internet et l’indexation ne faisant pas bon ménage avec l’appropriation des œuvres.
(brouhaha, cris, applaudissements. L’assemblée s’extirpe avec anarchie de l’amphithéâtre Fabry-Perot, qui à la recherche de toilettes, pendant que d’autres s’invectivent et se provoquent en duel)
[1] Précisons qu'une redevance est une participation aux frais, et non pas une couverture intégrale de ceux-ci.
[2] Google emploie dans le monde 20 000 personnes, dont 150 en France.

Liens :

“Numériser les œuvres du domaine public, et après ? Diffusion, réutilisation, exploitation : des objectifs contradictoires ? ” PARTIE 1

Cette journée d’étude, organisée par l’Interassociation Archives Bibliothèques Documentation, et plus spécialement par Michèle Battisti et Lionel Maurel – ci-devant DCB 15 et auteur de Bibliothèques numériques : le défi du droit d’auteur (Presses de l’Enssib, 2008) , s’est déroulée le 4 juin 2009 au CNAM. Voici quelques notes glanées lors de cette journée, en attendant dans les mois qui suivent une retranscription intégrale sur le site de l’IABD.
Ces notes n'engagent que leur auteur et en aucun cas les intervenants.

Dans une intervention inaugurale, Stéphanie Choisy, Docteur en droit, remarque la démarche de réappropriation des œuvres du domaine public par les institutions culturelles, et se demande sur quel fondement juridique une redevance d’usage public peut-elle être exigée en fonction de l’utilisation. Dans le cas des photographies reproduisant des œuvres tombées dans le domaine public, des décisions juridiques contradictoires ont été rendues. L’autorisation demandée par la BnF pour l’utilisation, même à titre de citation, d’une donnée de Gallica, est une mention légitime selon la cour de justice du Conseil Européen, et peut se comprendre par les investissements importants de cette banque de données.
L’interlocutrice propose de qualier les œuvres du domaine public de « chose commune », car il y a une impossibilité de leur appliquer le droit d’auteur. Encore faut-il se demander sous quel régime pourrait se tenir cette « chose commune ».

Jean-Gabriel Sorbora, Professeur de droit public à l’université du Maine, intervient à propos des œuvres du domaine public hors « œuvres tombés dans le domaine public », et qui sont des biens affectés à un usage public (bâtiments, voies…), frappés d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité, par opposition au domaine privé non affecté. Mais il est difcile d’appliquer une affectation à un livre.
Il convient de différencier le droit privé du domaine public – un appartement de fonction, par exemple – du droit public du domaine public.
Le domaine public, qui concerne toute œuvre présentant un intérêt en matière d’art, de science ou de technique, s’est vu récemment augmenté des archives et des documents anciens, rares et précieux. Encore faut-il savoir à partir de quand un ouvrage est – ou sera – rare. De plus, la numérisation – procédé de reproduction auquel est appliqué le droit intellectuel – d’une telle œuvre est-elle inaliénable et imprescriptible, même si l’objet numérisé ne change pas de statut ?
Une numérisation fait référence à trois entités inséparables :
• Le livre, comme bien corporel,
• L’œuvre immatérielle, relevant de l’esprit, régie par la propriété intellectuelle,
• Les données numérisées, y compris la base de données support de l’œuvre numérique.
Une bibliothèque n’est propriétaire que du bien corporel et des données numériques. Mais une base de données relève-t-elle du droit public ou du droit privé du domaine public ? À qui appartient-elle lorsqu’elle est créée par un prestataire externe ?
Si le statut d’une bibliothèque numérique relève du droit public, alors son usage est contraint et est soumis à redevances. Mais il reste beaucoup de questions juridiques sur le caractère immatériel de la numérisation. Néanmoins, une jurisprudence fait qu’à partir du moment où une base de données est diffusée, l’absence de mentions sur les restrictions de cette diffusion n’empêche pas sa réutilisation intégrale.

Après ces deux interventions juridiques, Bruno Ory-Lavollée, Conseiller référendaire à la Cour des Comptes et auteur du rapport en 2002 sur la “Diffusion numérique du patrimoine, dimension de la politique culturelle”, entame l’aspect politique avec la question de la diffusion et de la réutilisation des informations publiques.
Une numérisation équivaut à une possibilité de copies et de circulation de ces copies. Un simple lien vers un site distant constitue une intervention d’un tiers sur un contenu. Une réutilisation de données peut se faire
• par des particuliers pour un usage privé, une communication, une étude…,
• par des éditeurs culturels,
• par des acteurs non-culturels marchands,
• par des acteurs non-culturels non-marchands.
Un droit de réutilisation existe, mais selon conditions ; il s’agit de trouver un équilibre entre le faire, le savoir-faire et le laisser-faire.
Bruno Ory-Lavollée propose quelques orientations :
• Maximiser les licences afin d’éviter l’amateurisme au maximum (il vaut mieux un historien de l’art pour parler d’un tableau) et de consolider la place des institutions,
• Pratiquer des tarifs modiques,
• Ne pas bloquer les droits,
• Suivre et réguler…
… tout ceci entrant dans les missions du Ministère de la Culture, qui sont de diffuser et rendre accessible la culture française.

Danièle Bourlange nous présente l’Agence du patrimoine immatériel de l’État (APIE), dont elle est la Directrice générale adjointe. Créée en 2007 sur le diagnostic d’un manque de conscience de la richesse du patrimoine numérisé en France, l’APIE a pour missions de prémunir l’État contre l’utilisation abusive de ce patrimoine, de recenser des actifs immatériels, d’élaborer de nouveaux cadres de référence.
L’Ordonnance du 6 juin 2005, transposition d’une directive européenne de 2003, pose le droit de réutiliser les informations publiques, et la possibilité d’une redevance. Dans ce cadre, il convient de favoriser la réutilisation des données publiques en indiquant les cadres de réutilisation et en étant attentif aux droits de la propriété intellectuelle.

Puis Danièle Bourcier, Directrice de recherche au Centre d’études et de recherches de sciences administratives de Paris 2, présente les licences Creative Commons, créées en 2001 à l’université de Stanford, appliquées en France à partir de 2003. Ce sont des licences juridiques qui permettent aux auteurs, à partir du Web, de choisir les conditions d’utilisation de leurs œuvres, et aux utilisateurs de ne pas avoir à négocier systématiquement une autorisation. Danièle Bourcier insiste sur le fait qu’elles ne sont pas une alternative, mais un complément au Droit d’auteur, l’auteur étant au centre du dispositif. Elle remarque le manque d’information sur les droits des œuvres disponibles sur Internet et de leur réutilisation.
Les licences Creative Commons proposent six conditions optionnelles à partir de combinaisons de quatre éléments :
• Paternité (élément obligatoire)
• Pas de modifications
• Pas d’utilisations commerciales
• Partage des conditions initiales à l’identique
Elles prennent trois formes :
• Informations pour les juristes
• Informations pour les utilisateurs
• Métadonnées
Ces licences ont été traduites en français, mais pas encore intégrées dans le droit. La question de leur application en droit français n’est donc pas encore réglée.
Il y a encore peu de bases de ressources disponibles sous Creative Commons. Citons en tout de même deux : les archives de la BBC et Arteradio.
(S’ensuivent des débats sur l’opposition professionnel/amateur, sur Wikipédia, sur la possibilité ou l’impossibilité pour un auteur de pouvoir sortir du système Creative Commons… Mais nous touchons au pic de la journée, la moitié du chemin a été fait, il est temps de manger)
À suivre.

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